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Spleen et Idéal.

 

Quel étrange temps… Les gaulois Ségusiens de Forum tout comme ceux de Lugdunum ont bien cru que le ciel leur était tombé sur la tête. A l’opposé, avec tous ces nuages à leurs pieds, les habitants des collines sont restés persuadés que leur cher ciel était tombé plus bas que terre.

Nous venons de vivre en effet une étonnante période d’inversion thermique dans la région et même sur pratiquement tout le territoire français. Le temps est resté froid et couvert en plaine et vallées alors que la montagne bénéficiait de nuits douces et étoilées, de journées délicieusement printanières. Certes ce genre de situation n’est pas rare en hiver et automne, ce qui est remarquable, c’est la durée de ce phénomène : à l’heure où sont écrites ces lignes, la température maximale de Feurs a été inférieure à celle de Violay durant 10 jours consécutifs ! Si on épluche jour après jour les relevés météo de ces deux localités durant les 11 dernières années, on retrouve bien entendu de pareilles configurations mais les plus longues d’entre elles n’ont duré que 6 jours : du 15 au 20 décembre 1995, ou encore 5 jours entre le 14 et le 18 décembre 1998.

Quand le ciel bas et lourd…

Le mécanisme atmosphérique amenant ce type de temps pour le moins paradoxal est assez subtil, essayons de le décrypter en quelques lignes. Dès les premiers jours du mois, les baromètres indiquent une forte pression atmosphérique : un anticyclone est en train de se positionner sur la France. Le mouvement de l’air à l’intérieur d’un anticyclone est descendant ; bien entendu ces vitesses descensionnelles sont très faibles et non perceptibles par l’Homme comme peuvent l’être celles horizontales du vent. Tout ce passe un peu comme si un géant déversait des pelletées d’air au dessus de la région ; or l’air en descendant se comprime et donc se réchauffe (l’air sec gagne alors environ 1° pour 100 m descendus). Malheureusement, cet air chaud tombé du ciel n’atteint pas la surface terrestre, il va glisser et s’étaler au dessus d’une couche de quelques centaines (voire dizaines) de mètres accrochée au sol par la rugosité de celui ci : arbres, collines, vallées... L’air rivé au sol se refroidit au contact de celui ci grâce aux longues nuits de décembre. Le froid aidant, des nuages bas se forment (on les appelle des stratus), la journée ces brouillards font écran au soleil, le sol ne peut donc plus se réchauffer. L’air froid est en bas, l’air chaud en haut : la situation est on ne peut plus stable… Heureusement nous vivons à proximité d’un océan et il suffit par exemple qu’un courant d’ouest se lève pour déloger cette pellicule d’air glacial rampant. Dans les contrées plus continentales comme le centre de la Russie par exemple, cette situation d’inversion persiste en général plusieurs mois de l’hiver.

Elévation !

Les journées deviennent fort déprimantes pour les habitants des plaines et vallées : les plus chanceux bénéficient d’un ciel bas tandis que les moins bien lotis se morfondent dans le brouillard givrant. Il suffit de prendre un peu de hauteur « au dessus des étangs, au dessus des vallées » comme disait le poète, pour retrouver l’Astre du jour. Le soleil brille durant une semaine à Violay, nous bénéficions de vues magnifiques sur le Mézenc et la chaîne des Alpes perdues au milieu d’un océan de nuages. Le 12, le thermomètre indique au plus doux de l’après midi 12.2° à Violay mais seulement 0.4° à Feurs et même –0.2° au Breuil. Les nuits étoilées en montagne restent très douces : +5.5° de mini le 13 à Violay contre –4.7° à Feurs ; mini de -6.2° à Boën ce même jour et +3.1° au col de la Loge à 1270 m d’altitude. Le radiosondage de l’aéroport de Saint-Exupéry fournit alors des valeurs de températures étonnantes : le 9 décembre à 1h du matin le ballon-sonde mesure –4.1° à 1030 m d’altitude et +10.2° à 1200 m, le 7 toujours à 1h il fait –2.5° à 1000 m et +8.2° à 1100 m. La période est bénie pour l’amateur astronome : toute la pollution lumineuse des grandes cités est piégée par le stratus : le ciel de nos montagnes étincelle d’étoiles.

Ces situations d’inversion thermique ne sont pas l’apanage des journées d’hiver, on les rencontre aussi très fréquemment en été mais alors l’inversion porte exclusivement sur les minimales. En effet, durant la journée aucun brouillard ne peut résister à un soleil estival, celui ci chauffe alors le sol et le phénomène d’ascension se produit, surchauffant la plaine et tempérant la montagne (puisqu’un air sec perd environ 1° par 100 m d’élévation). N’oublions pas qu’à Violay la température minimale moyenne des 13 premiers jours d’août 2003 a été de 6° supérieure à celle du Breuil.

A Violay le 15 décembre 2004

M. Gagnard

m.gagnard@univ-lyon1.fr