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PBP 2003.

 

Quelques photos.

Le plus dur dans un Paris-Brest-Paris, c'est de rassembler ses souvenirs épars en vue d'écrire le récit de l'aventure. C'est un peu comme ratisser une multitude de feuilles mortes pour en faire un tas. Une fois le tas formé et les feuilles immobilisées, vous en voyez d'autres qui tombent de l'arbre. Certes on peut attendre la fin de l'automne pour la besogne mais alors les feuilles pourrissent au sol et la tâche est encore plus difficile. Donc si on veut un récit du périple, c'est maintenant qu'il faut le construire, allez courage !

Le Paris-Brest-Paris (dit improprement Paris-Brest) est une très ancienne épreuve cycliste, antérieure au Tour-de-France (1903) et même au Liège-Bastogne-Liège (1892) puisque la première édition fut disputée en 1891. On l'aura deviné : l'idée est de partir de la capitale, d'aller tourner en rade de Brest et de revenir à Paris ; soit une distance d'environ 1250 km à couvrir en moins de 90 heures. Actuellement, cette odyssée a lieu tous les quatre ans.

Des qualifications sont nécessaires pour l'inscription à cette épreuve mythique : il faut avoir réalisé dans le printemps quatre "brevets de randonneurs mondiaux" de 200, 300, 400, 600 km en un temps limité. Cette année, 2076 étrangers des cinq continents et 2018 français se retrouvent à Guyancourt, commune des Yvelines où est tracée la ligne de départ. Stoppons ici les glaciales informations objectives et laissons place à la chaleur forcément subjective du récit humain.

St Quentin-en-Yvelines dimanche 17 août 12h . S'il fallait décrire le Paris-Brest en chanson, elle commencerait de la même façon que la Mamma d'Aznavour : "Ils sont venus ils sont tous là, même ceux du sud de l'Italie...". S'il fallait le réduire en poème, il ressemblerait fort à  tentative de description d'un dîner de têtes à Paris-France de Prévert : "Ceux qui tricolorent, ceux qui inaugurent, ceux qui croient, ceux qui croient croire...". Vue des nuées, la Ville Nouvelle ressemble à une fourmilière qui vient de recevoir un coup de pied : une multitude de fourmis multicolores la parcourent en tout sens : ceux qui bi-cyclent, ceux qui tri-cyclent, ceux qui vont, ceux qui viennent, ceux qui n'en reviennent pas, ceux qui reviendront, ceux qui tournent, ceux qui s'en retournent, ceux qui tout-droit, ceux qui couchés....

Guyancourt lundi 18 août 21h 45. Le mouvement brownien a subitement cessé et les fourmis se rassemblent à présent, comme si la communauté s'était contractée sur elle-même, attirée par une étrange gravité ; protègent-elles la Reine ? non ! une détonation retentit et le flot d'insectes s'étire, telle une vanne enfin ouverte après quatre années de sécheresse.

Refuge de Plaisance (Vanoise), 29 mai 1999, 21h. Les randonneurs partent se coucher, demain le réveil est à 3h pour pouvoir atteindre le Dôme des Pichères dans de bonnes conditions de neige. La soirée s'est agréablement déroulée : Daniel Maugé, sociétaire de la Squadra de Feurs nous a parlé d'une course cycliste alors inconnue à mes oreilles qu'il compte disputer pour la troisième fois en août prochain ; il s'agit du Paris-Brest-Paris. "Une épreuve de fous, pensez donc : 1200 km, et en 65 heures qu'il l'a faite les fois dernières ! jamais je f'rai un truc pareil, et puis le vélo, ça fait exactement 10 ans que j'suis pas remonté dessus... non non, la montagne c'est bien mieux".

Sur la route, nuit du 18 au 19 août 2003. Quatre heures qu'on pédale : la nuit est douce, agréable. A la traversée des villages beaucoup de gens nous encouragent, le stress du départ s'en est allé de l'autre côté de la ligne : on lui tourne le dos, c'est le bonheur.

Aurore du 19 août 2003. Je le craignais cet instant... l'instant des premières lueurs, avant le lever du soleil. Le sommeil arrive subitement, les micros coupures de vigilance et les petites hallucinations qui vont de paire se succèdent. Je sais que ça passera, mais quand ? Soudain, une tiédeur sur la nuque : le premier soleil me sort des torpeurs ; la lumière chasse les ténèbres de ma tête : résurrection.

Villaines-la-Juhel (km 223). Second contrôle ravitaillement après celui de Mortagne-au-Perche. Il n'est pas facile de faire comprendre au corps que la journée n'est pas terminée, que aujourd'hui n'est pas comme les autres jours d'entraînement : on ne va pas se coucher après 200 km... Mais il est bien brave le corps, s'il ne comprend pas tout, il se résigne facilement ; pas comme la tête ! alors ça c'est autre chose... c'est que c'est une intellectuelle celle-là ! pour l'instant tout va bien (il ne faut surtout pas lui dire qu'il reste encore plus de mille bornes... ça non il ne faut pas lui dire), tant que j'aurai la tête de mon côté, tout ira bien. Un gros spaghetti bolognaise et deux gâteaux de riz plus tard les roues tournent de nouveau.

Entre Loudéac et Carhaix mardi 19 août 20h. 452 km qui ne sont plus à faire et ce soleil qui n'en finit pas. La route est une succession de montées raides et de descentes abruptes : le massif armoricain. Moi qui ne l'avais vu jusqu'alors que sur les cartes murales de ma classe de CM2, je suis en train de le déguster dans toute sa splendeur. Le massif armoricain ! ce qu'il m'avait fait rire celui-là avec ses 384 m de point culminant... c'est vrai quoi : quand vous êtes tranquillement assis sur un banc d'école et que vous voyez cette carte avec du marron en Bretagne, et un petit triangle 384 dessus, ça vous amuse... Que du vert que j'aurais mis en Bretagne moi, que du vert ! Bon et bien 30 ans plus tard ça ne m'amuse plus du tout. Un conseil aux Professeurs des Ecoles : si vous voyez un môme se moquer du massif armoricain vous lui... vous me l'envoyez !

Carhaix mardi 19 août 2003 début de nuit. Carhaix, cette bourgade est davantage connue par son festival des vieilles charrues qu'en tant que ville du Paris-Brest : ce n'est pas juste. Tiens en parlant de charrue, je me suis retourné plusieurs fois pour vérifier s'il n'y en avait pas une d'accrochée à mon vélo, mais non, il n'y avait rien, c'est marrant des fois on s'imagine de ces choses. Bon là, l'instant est assez tragique parce que la moitié n'est toujours pas faite (seulement 529 km) et que le corps commence à trouver long 24h de pédalage. Mais Kundera n'a-t-il pas dit dans La plaisanterie qu'une tragédie peut être belle ? alors si le grand Kundera l'a dit... c'est que ça doit être vrai. C'est curieux parce que moi petit Gagnard ici à Carhaix à 23h devant mon boudin-frites et mes 3 gâteaux de riz je ne suis pas beau du tout, je suis même joliment minable... c'est peut être que je ne vis pas une tragédie ? ce qui est de sûr c'est que le Paris-Brest n'en est pas une de plaisanterie. Le corps veut me dire quelque chose... ah oui, il me dit qu'on ferait peut être mieux d'aller se coucher plutôt que de se demander ce que voulait dire Kundera dans La plaisanterie. Un gymnase (tiens ça rime avec "nase" non, ce n'est pas du Kundera) ; des lits de camps, un homme qui me parle, que je ne comprends pas, j'ai juste le temps de lui dire de me réveiller à 3 heures, puis le trou noir.

Carhaix mercredi 20 août 2003 2h 17mn. Souvent lors d'un horrible cauchemar nocturne, on se réveille tout content de retrouver la paisible réalité de notre chambre. Et bien là, à Carhaix, c'est plutôt l'inverse qu'il m'arrive : j'étais en train de rêver à un monde rempli de voitures, où le vélo était interdit quand soudain je me réveille et retrouve le cauchemar bien réel du Paris-Brest. Bon, il n'est pas encore 3h, tant pis pour la grasse matinée : une omelette au lard, deux gâteaux de semoule et hop, direction Brest ! le Roc Trévezel, le voilà le fameux 384 m, puis la descente sur Brest, le froid, l'humidité, le petit matin, les hallucinations, tout y re-passe ; et puis comme s'il n'y en avait pas assez une crevaison 15 km avant la rade de Brest. Enfin voilà l'Atlantique, la mi parcours, le contrôle, le triple sandwich aux rillettes, le deuxième soleil et le retour ! et oui, jusqu'à présent nous nous étions éloignés de Paris, maintenant nous allons nous en rapprocher ! raisonnement idiot me direz-vous et bien non, c'est comme ça, la tête n'est plus très cartésienne après 615 km.

Fougères mercredi 20 août vers minuit. La journée a été radieuse, le moral est au beau fixe, Paris se rapproche : plus que 311 km, un rien, une paille . Une purée-saucisse, un bol de soupe, 2 gâteaux de riz, un tapis de judo et le trou noir.

Fougères jeudi 21 août 3h. La chute ! (non ce n'est pas du Camus) il ne manquait plus que ça, je roulais tranquillement et crac, dans le fossé ! ah non, c'est le veilleur de nuit qui me secoue comme un prunier, "debout, il est 3h !". La fin de nuit est glaciale, à Gorron, les gens du club de vélo organisent un petit ravitaillement dans leur village. Je m'y arrête pour me réchauffer les mains sur une bouilloire (ah si j'avais pu les tremper dans la cafetière). Le thermomètre à côté de leur tente indique 6°. Dans les bas-fonds encombrés de brouillard, il doit faire entre 0 et 5°, le froid est saisissant quand on y déboule à plus de 40 km/h. L'heure de l'aurore tant redoutée arrive enfin, mais sans être accompagnée d'étourdissements, l'organisme est assez occupé à lutter contre le froid, l'instant n'est pas au sommeil. Les premiers feux orientaux me brûlent le front, le dernier soleil du Paris-Brest se lève, plus rien ne peut m'arriver.

Guyancourt jeudi 21 août 18h30. Les 300 derniers kilomètres sont avalés comme un gâteau de riz ; le ciel est bleu, la température juste agréable et la route peu vallonnée est idéale pour un vélo couché comme le mien. Je me surprends à tenir du 36 km/h durant 30 minutes vers Nogent-le-Roi, c'est l'euphorie. Les derniers kilomètres, trop urbains, sont difficiles à négocier ; l'impatience de la ligne d'arrivée me fait bouillir le sang. Une dizaine de feux rouges plus loin, le Gymnase des Droits de l'Homme (qui rime avec à fond la gomme) apparaît enfin. Les encouragements, les applaudissements, les "comment-qu'il-a fait-pour-faire-1200-km-sur-ce-drôle-de-vélo ?" et la fourmi qui franchit la ligne blanche 68 heures et 45 minutes après la détonation.

 

A Violay le 23 août 2003.

M. Gagnard