Nous en étions donc à la mi-parcours d'ascension (2.5 kms), quand tout à coup, mon cerveau (qui était sur "off" depuis le km 250, lieu du pêtage de câble ; je l'avais effectivement débranché de peur qu'il me joue des tours, je ne voulais pas qu'il crée une mutinerie dans tout l'organisme car si j'avais eu une grève de cuisses sur le dos...), ce cerveau disais-je se remet à fonctionner par à-coups, des petits éclairs dans un ciel d'encre... ces petites lueurs me montraient toujours la même chose, mais elles étaient trop fugaces pour que je puisse distinguer la chose en question... je ne voyais que sa couleur : bleu clair. Subitement, un plus gros flash ne me laisse plus de doute sur ce machin bleu : il s'agit de ma feuille de route (carton que l'on doit faire poinçonner dans différentes villes, pour prouver notre passage). Oui, oui, vous avez bien deviné : Cluny faisait partie de ces lieux de contrôle...
Placez-vous à Chamonix, demandez à un géant de combler la vallée de l'Arve avec le Mont-Blanc et vous ressentirez un écrasement semblable au mien alors...
Je reconnecte immédiatement le cortex et cet affreux (très mécontent d'avoir été shunté quelques heures plus tôt) me nargue en me plaçant sous les yeux la scène de Milou dans Tintin au Tibet lorsque, chargé d'une mission de sauvetage par Tintin, il rencontre l'os de yack (et non de yacht). Je vois donc apparaître au dessus de moi le diable (assis sur un vélo droit) me disant : "bah, c'est pas grave : continue ton chemin, tu feras tamponner ta carte au prochain village, on n'est pas à 5 kms près... et puis si tu es passé par ce village (Azé), c'est bien que tu es passé par Cluny... et puis une côte comme ça sur un 12 dents : il faut être fou pour se la refaire ah, ah, ah, ah....". Trente secondes plus tard, l'Ange apparaît, (sur un vélo couché, avec un 11 dents derrière) et me dit : "hola mon garçon, serais-tu incapable de penser plus loin que ton pédalier ? (ceci dit sur un vélo couché, il est quand même assez loin le pédalier) sais-tu que ces cartes vont à Paris pour être contrôlées ? et crois tu que le contrôleur parisien va prendre le temps de regarder sur une carte routière la position de ton village ? et sais tu ce qu'il fera le contrôleur parisien ne voyant pas CLUNY sur le carton ? hein le sais-tu ? il ANNULERA TON BREVET, misérable pécheur ! et sais tu ce que tu devras faire alors ? hein le sais tu ? tu devras repasser un autre 400 ! et sais tu que tous les 400 ont lieu aujourd'hui ? hein le sais-tu ? tu devras alors passer 2 brevets de 600 kms ! et sais-tu que ces brevets sont espacés d'une semaine seulement ? hein le sais-tu ? et si tu ne fais pas deux 600 tu ne pourras t'inscrire au Paris-Brest-Paris et si tu ne le fais pas cette année, tu ne pourras pas le refaire dans 4 ans car entre temps tu seras mort de chagrin !"
Contrairement à Milou (et c'est là qu'on voit que l'Homme est supérieur à la bête) je ne cède pas au Malin et, la mort dans l'âme je me lance dans la descente vers Cluny. La descente est un calvaire (encore plus que la montée) : imaginez le Christ en train de redescendre le Golgotha pour aller chercher des clous chez le quincaillier à Jérusalem... (là j'y vais un peu fort, veuillez me pardonner).
Alors je fais tamponner cette foutue carte et me relance dans la grimpette. C'est alors qu'un méchant cumulus congestus se déverse sur moi (il est 16h 30) et je crois bien juste sur moi bouh ouh, ouh... Je me sors les tripes pour monter ce damné col, arrive dans un état pitoyable au sommet où le Diable m'attendait. Vous savez ce qu'il m'a dit le Diable ? il m'a dit (non il ne m'a pas dit d'aller là-haut siffler sur la colline, toutes façons j'y était déjà sur la colline) il m'a dit :
"allez, c'est bien mon gars, plus que 130 bornes et t'es arrivé..." je lui aurais balancé mon Bent (vélo couché) à la tronche, mais j'en avais besoin pour rentrer...
Quelques petites erreurs de navigation (et oui, le parcours n'est pas fléché et la nuit dans les petites routes du nord-Isère l'orientation n'est pas facile, surtout quand les petites routes en question sont fermées (cas d'Heyrieux)), le très commenté épisode de Cluny et sans doute une petite rallonge le soir dans la banlieue est-lyonnaise pour rallier Bron. Bilan : 422 km au compteur au lieu des 407 prévus par l'organisateur. Ces 422 kms ont été bouclés en 18h 45, soit une moyenne (pauses comprises) de 22.5 km/h et une moyenne lors du pédalage (i.e pauses exclues) de 25.4 km/h. 16h 36 de pédalage.
Le WE de Pentecôte (tout un programme) a lieu le 600, qui risque lui aussi d'être riche en rebondissements. On aura l'occasion d'en reparler...
M. Gagnard
Complètement tamponné.