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Brevet des 600 km.

 

 

Voici à chaud mes impressions de ce brevet de 600 km. Je n'ai pas fait de re-lecture.

 

Samedi 7 juin 5h 25, les pneus de la voiture font crisser les graviers de l'esplanade du château du Grand Clos. La température est déjà douce et pourtant de gosses nappes de brouillard recouvrent ça et là la Plaine ; une température de rosée entre 15 et 20° : voilà qui promet une atmosphère particulièrement humide tout au long de la journée... Devant le château, les préparatifs vont bon train : les vélos sortent des autos tels des purs sang fougueux du van. Un petit tour aux inscriptions où le Chef Chartoire note nos caractéristiques (Nom, prénom, âge, groupe sanguin, lieu d'inhumation ou d'incinération...), dispense les dernières recommandations.

Dehors, une table est dressée et achalandée d'une nourriture diverse et variée... je ne vais pas à cette table, la jugeant trop "dernier repas".

5h 40 : le Baron (c'est le nom de mon vélo, j'y peux rien) est sorti, il ne reste plus qu'à régler l'altimètre, le cardio-fréquence-mètre, remettre à zéro le compteur kilométrique, signer quelques autographes aux curieux attroupés autour de moi ; non je sais, ce n'est pas le bonhomme qu'ils viennent admirer, mais le vélo... un vélo, ça ne signe pas.

5h 44 : tous les instruments sont réglés, et il y en a ! vitesse instantanée, vitesse moyenne, vitesse maxi, temps écoulé, altitude, vitesse ascensionnelle (ou descensionnelle), fréquence cardiaque, kilocalories dépensées ; bref de la lecture pour le voyage. Les graviers crissent, me voilà parti.

Allégresse et pt'it nuage.

Une petite portion de plat jusqu'à St-Galmier, la température est idéale : entre 15 et 20°, puis la montée sur Duerne (alt 810 m) premier point haut de la boucle. Montée à Duerne toute en douceur : ne pas dépasser les 130 au cardio (pour une FCmax de 200, y'a d'la marge !), bien boire, surtout ne pas se dire qu'il ne reste plus que 602 km, 601 km, 600 km ça ce n'est pas bon du tout.

L'Arbresle, première ville "tampon", la boulangère ne peut pas croire qu'on puisse faire 600 bornes avec un "vélo comme ça".

Lozanne (alt 220 m) et la longue remontée de la belle vallée d'Azergues jusqu'au col des Echarmeaux (alt 720 m) ; la matinée avance et le soleil s'échauffe : pas de vent, une humidité à couper au couteau, un nuage de mouches au dessus de soi ( si si ! je me lave, d'ailleurs tout le monde l'avait son pt'it nuage). Enfin arrivée aux Echarmeaux, deuxième point haut. Les Echarmeaux : un col perdu dans les sapins, des hôtels centenaires plus ou moins désaffectés, la statue de Napoléon 1 (qui y passa à son retour de l'île d'Elbe) ; un vent frais, nous sommes en pleine montagne beaujolaise, à quelques pas du Mont St Rigaud (alt 1012 m)  point le plus haut du Rhône.

Plongée sur Chauffailles, deuxième ville tampon. La chaleur se fait de plus en plus intense à mesure que l'on égrène les virages. Une fois la carte tamponnée, le cap est mis sur Marcigny.

L'angoisse du doute.

L'heure avance, le soleil monte et le moral descend... Le profil est une succession de descentes violentes et de montées rigoureuses ; l'humidité de l'air devient insupportable, la route est le plus souvent cloisonnée de haies, il ne faut donc pas compter sur le vent pour faire évaporer l'eau sur la peau. "Qu'est-ce que je suis venu faire ici ? il n'est pas midi et je suis déjà à plat... il reste encore plus de 450 bornes... et l'après midi va être torride..."

Il est à peu près midi au passage à Marcigny, ne pas s'arrêter ici pour manger, continuer encore, il semble que le profil s'adoucisse... il semble seulement. Arrivée au Donjon vers 13h et QUE 170 km de faits... une misère. Vite trouver à boire, l'eau du bidon est de plus en plus insupportable et il FAUT boire. Chance, un petit commerce est ouvert, et il y a du jus de fruit au frais. Je retrouve un groupe de 600 bornards affalés sur le parvis de l'église : ça ne va pas fort non plus de leur côté. Une douche (à en grelotter, l'eau de début juin est nettement plus froide que celle d'août) à la fontaine du village, ça fait du bien, la température corporelle a dû chuter d'un bon degré. Trois km plus loin, le linge était sec.

18h : arrivée à Autun, ça fait 12h qu'on pédale et seulement 260 bornes de faites ! même pas la moitié... l'état physique et surtout moral est déplorable. Notre petit groupe se traîne à une terrasse de café. Essayer de boire, de manger... le soleil est moins chaud mais le goudron est à son maximum, moi qui ai les fesses à 17 cm du bitume... je repense à la pub de mon vélo "le vélo le plus bas au monde, 17 cm seulement..." ouais ouais ouais... j'm'en vais te le revendre c'vélo... Ce qu'il y a de rassurant, c'est qu'on est à peu près tous dans le même état, certains tentent bien de plaisanter, mais ça ne prend pas... on ne plaisante pas quand on en a à peine fait la moitié...

Le plus triste est que nous sommes au pied est du Morvan et qu'il va falloir rejoindre Nevers (i.e côté ouest dudit massif), bref, faut traverser le Morvan... alors les anciens (faut dire que du haut de mes 38 ans, j'étais le jeunot du groupe et certainement bien en dessous de la moyenne d'âge des participants) parlent du Morvan... il ne faut JAMAIS écouter les anciens ! surtout pas à Autun. Le café est en face de la gare... doit bien y'avoir un train pour Lyon ce soir ? je chasse cette idée subversive de ma mémoire, m'allonge dans le vélo et mets le cap sur Nevers.

Nevers 102 km qu'on peut lire sur un panneau à la sortie d'Autun ; pas bon pour le mental ça non plus quand on pédale sous le soleil pour pas grand-chose (même pas la moitié !) depuis plus de 12h et qu'on doit se payer le Morvan. Et encore, on se le paye pas n'importe comment le Morvan, on se le paye AVEC LE SOLEIL DANS LE PIF, ben oui puisqu'il est 18h 30 -19h, et qu'on fait de l'est-ouest. Je repense à la pub de mon vélo "avec un vélo couché, vous n'avez plus la tête dans le guidon, plus besoin de vous tordre les cervicales pour voir la route, vous avez une vue panoramique pour profiter du paysage...". Tu parles d'une vue panoramique... j'avais le soleil moi môssieur comme panoramique... on l'avait pas assez vu toute la journée c'ui là... i-s-y pensent pas ceux qui font la pub des vélos couchés que le soleil se couche tous les soirs et qu'un jour on peut faire le Morvan d'est en ouest ? j'men vais te le casser avant de te le revendre ce vélo ! Il faut dire, il faut dire (oui quand même il faut le dire)... que sur le casque j'ai une bonne visière mais que cette visière je l'avais arrachée avant de partir... que ça fera mieux aérodynamique que j'me suis dit ; quel c.. mais quel c.. ! alors voilà, jusqu'à Chateau-Chinon avec une main sur le guidon et l'autre en visière...

Enfin voilà la ville de Mitterrand, une brasserie d'ouverte ! et un jambon-frite un ! ben oui quoi, on va rouler toute la nuit vous ne voulez pas que je prenne un yaourth 0% avec une tisane ? Plusieurs 600 bornards sont attablés, les anciens disent...j'ai pas écouté les anciens. Deux gars de Panissières (licenciés à la Squadra de Feurs, envoyez-moi un pt'tit mail si vous me lisez gagnard@univ-lyon1.fr ) sont arrivés depuis quelques minutes, l'aventure de l'un d'entre-eux mérite d'être contée :

Lui : "t'as combien de bornes à ton compteur ?"

Moi : "299 et toi ?" (entre parenthèses, toujours pas la moitié !)

Lui : "ben moi 335".

Moi : "ouh là, il est optimiste le tien !".

Lui : "oh non, il est juste ! seulement au sommet de  la grosse montée après Autun (je précise que ce sommet est le point le plus haut de la route qui traverse le Morvan) j'en avais tellement marre que je me suis dit allez j'abandonne ! je suis redescendu à Autun pour prendre le train et c'est alors que j'ai retrouvé mon collègue de club  qui m'a dit "tu vas pas rien abandonner ! allez, viens avec moi, on continue ! " alors je me suis re-payé la côte et me voilà ici !"".

Non mais j'vous jure, y'en a qui savent pas c'qui veulent...

A la brasserie, mon Baron fait l'attraction ; les clients (bière, cigarette et assiette de frites) nous prennent pour des extra-terrestres quand on leur dit notre tour, ils laissent tomber la clope dans la chope quand on leur dit qu'on va passer la nuit sur le vélo... nous ne sommes pas du même monde. La finale de rugby est sur grand écran. On "chausse" nos frontales et diodes rouges et nous voilà plongeant dans le nivernais. Château-Chinon est construite sur un flanc de montagne, le spectacle est superbe ; savez-vous ce que j'ai vu tout là-bas à l'horizon nord-ouest ? le soleil ! tout rouge, il se couchait (lui), il y avait juste un minuscule nuage devant lui, on aurait dit une grosse tache solaire ; c'était très beau, mais ça ne m'a pas empêché de lui cracher dessus au soleil... c'que j'suis rancunier...

Nevers est là, il est minuit et demi, chance on trouve un pub d'ouvert, on fait tamponner notre carte ici. La douceur de la nuit nous a revigorés, le moral remonte. Pas pour longtemps car je crève (le pneu...) à l'avant. Heureusement l'accident a lieu dans un village (je devrai dire un village éclairé car ils ne le sont pas tous dans ce coin de France) la lumière du lampadaire m'aide à réparer. Direction plein sud : Decize ; une succession de montagnes russes et... des flots de voitures remontant du sud. Une telle circulation à une telle heure est étonnante sur les routes réputées tranquilles de la Nièvre. La solution du mystère est à Decize : il y a LA fête... une pause casse croûte dans cette bonne ville très animée. Beaucoup de monde, un couple s'arrête :

Lui : "bon ben alors tu viens"

Elle : "non attends ! j'veux le voir repartir sur son vélo"

Moi : "c'est 3 euros le départ, pour 100 je prends une gamelle".

2h du matin, le sommeil arrive : je revois encore les deux lumières rouges de mes 2 copains de la Squadra danser devant moi, je repasse devant, ces lumières m'endorment.

4h du matin, la lutte contre le sommeil est très difficile, on décide de s'allonger 30 minutes et c'est reparti. Arrivée à Dompierre sur Besbre, on devrait faire tamponner, mais rien est ouvert. On envoie donc de cette ville une carte postale à l'organisateur pour prouver notre passage.

8h : nous voici à la Palisse, au pied de la montagne bourbonnaise. Un groupe de cyclistes est épanché sur le trottoir : une vraie Cour des Miracles... moi je dis que c'est dangereux de faire ça à côté de la route (N7) : qu'il vienne à passer un fourgon du SAMU et il embarque tout le monde : on se retrouve en réanim' à l'hôpital de Vichy qu'on n'a pas le temps de le voir...

Dernier point haut du parcours : la croix du Sud et un passage à un peu plus de 800 m. Les anciens en parlaient, mais je n'ai pas entendu... la chaleur revient et le sommeil devient intolérable : je fais des phases de micro-sommeil, je perds connaissance durant 1s environ et me retrouve presque dans le fossé ou au milieu de la route, je me donne des claques pour éviter ça. Quelques petites hallucinations aussi (qui vont de paire avec les micro-coupures) : j'ai vu une baleine (c'était des meules de foin), un chasse-neige (petit cabanon) et un bosquet taillé en forme de Jeep. Heureusement cette période (qui a duré environ 20 mn) a eu lieu dans la montée entre 7 et 10 km/h. Après le Croix du Sud, on replonge dans la fournaise de la Plaine, 80 km à peu près plats amènent notre groupe de 7 (2 groupes s'étaient ressoudés entre temps). Ces derniers km on été assez faciles car je connais bien la région, souvent on était à plus de 30 km/h.

Le Château du Grand-Clos est enfin en vue, les graviers crissent et le tour est fini ! il est 14h 45. Les organisateurs (GAZELEC de ST ETIENNE) nous accueillent et nous informent que sur les 41 personnes au départ, seulement 7 ne sont pas encore arrivées (je devais en voir arriver une à proximité du Château 45 mn plus tard) ; aucun abandon n'avait été déclaré, les premiers étaient arrivés le matin à 10h. La palme du courage revient sans doute à ce participant roannais qui une fois arrivé (vers midi) est rentré chez lui en vélo soit 80 km de plus sous la fournaise de la Plaine du Forez... Y'en a qui sont jamais satisfaits...

A 18h, je me souviens avoir vu mon lit, après, plus rien, j'ai dû m'endormir entre 30 et 45 secondes.

Les chiffres, rien que les chiffres :

Distance parcourue : 609 km. Dénivelé ascendant mesuré* : 4555 m

Temps écoulé entre le départ et l'arrivée : 33h tout rond.

Vitesse moyenne entre de départ et l'arrivée : 18.5 km/h

Durée de pédalage** : 27h 09mn.

Vitesse moyenne durant le pédalage : 22.4 km/h.

Vitesse maximale instantanée : 71 km/h.

 

* : comme la température de l'air était chaude, l'altimètre a systématiquement sous-estimé les dénivelés (aussi bien positif que négatif), la correction à apporter serait de l'ordre de 5 %, ce qui donnerait un dénivelé corrigé de 4800 m.

** : on devrait dire "durée de rotation de la roue avant", car en descente, on ne pédale pas forcément.